Apprendre à apprendre, une idée neuve ?
Tony Buzan préconisait une « pédagogie de la découverte », qui consiste en premier lieu à « apprendre à apprendre ». Et l’avenir lui a semble-t-il donné raison, puisque la capacité à identifier et développer ses propres mécanismes d’acquisition apparaît de plus en plus comme une compétence clé pour réussir sa scolarité.
Savoir apprendre pour bien apprendre
L’idée qu’il faille savoir apprendre pour bien apprendre (voire avant d’apprendre) n’est en fait pas récente : dès le XVIIIe siècle, dans Émile, son révolutionnaire traité d’éducation, Rousseau insiste sur le « comment enseigner » plus que sur le « quoi enseigner » et écrit « Souvenez-vous toujours que l’esprit de mon institution n’est pas d’enseigner à l’enfant beaucoup de choses […] il ne s’agit point de lui enseigner les sciences, mais de lui donner du goût pour les aimer et des méthodes pour les apprendre ».
Impacts des changements économiques, technologiques et scientifiques
Si la notion n’est pas nouvelle, elle suscite aujourd’hui un net regain d’intérêt. Plusieurs raisons à cela, qui rejoignent celles qui expliquent l’essor de l’enseignement des soft skills : les mutations économiques et technologiques – flexibilité accrue du travail, transformation rapide des métiers, développement de la robotisation – qui exigent désormais de se (re)former régulièrement tout au long de sa vie professionnelle ; la remise en cause de la verticalité du savoir avec Internet, qui permet à chacun d’accéder à une quantité infinie de connaissances, à condition de savoir comment ne pas s’y perdre ou s’y noyer ; et enfin les progrès considérables accomplis par les neurosciences au cours de ces dernières années, qui apportent de nouveaux éclairages sur le fonctionnement du cerveau et questionnent les méthodologies d’apprentissage proposées aux élèves.
Apprendre à apprendre, un objectif éducatif désormais explicite
Ces évolutions ont conduit l’Éducation nationale à accorder davantage de place à l’enseignement des différentes façons d’apprendre. Cela figure même depuis peu en tant que tel dans les textes officiels.
Les programmes entrés en vigueur à la rentrée 2016 pour l’école primaire et le collège définissent cinq domaines du socle commun de connaissances, dont un est entièrement consacré aux « méthodes et outils pour apprendre » :
« Ce domaine a pour objectif de permettre à tous les élèves d’apprendre à apprendre, seuls ou collectivement, en classe ou en dehors, afin de réussir dans leurs études et, par la suite, se former tout au long de la vie. Les méthodes et outils pour apprendre doivent faire l’objet d’un apprentissage explicite en situation, dans tous les enseignements et espaces de la vie scolaire. »
Cet objectif avait été fixé au niveau européen dès 2006, le Conseil et le Parlement européens ayant adopté pour la première fois un cadre de référence des « compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie » : « apprendre à apprendre » figure parmi les 8 compétences ainsi définies.
Qu’est-ce qu’apprendre, pour commencer ?
Étymologiquement, apprendre vient du latin « apprehendere », qui signifie « prendre, saisir, attraper ». Comme le souligne Jeanne Siaud-Facchin, apprendre c’est littéralement « prendre en soi » ou « avec soi ». Dans Mais qu’est-ce qui l’empêche de réussir, elle explique qu’apprendre suppose qu’il existe un « objet de connaissance » à l’extérieur de soi et que nous devons mettre en marche des mécanismes pour nous approprier ce savoir externe.
Apprendre est en cela un mouvement, une action, et implique donc un effort. C’est ce qui explique sans doute que, pour reprendre les mots de Philippe Meirieu, le célèbre spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie, « tout le monde aimerait savoir, mais pas nécessairement apprendre ». Car apprendre est une démarche coûteuse, voire douloureuse ; elle demande tout à la fois d’accepter de ne pas savoir, de tolérer la frustration de ne pas y arriver tout de suite et même de prendre le risque de ne pas y arriver du tout. On comprend alors qu’apprendre fasse peur, tant il peut être difficile de se placer dans une situation si inconfortable ; et on comprend d’autant mieux pourquoi les élèves en difficulté, et à qui on n’a pas (assez) dit que la capacité à apprendre ne relève pas d’un talent inné, finissent par fuir les situations d’apprentissage, vécues comme humiliantes et sans issue.